Les événements récents qui ont secoué le monde entier — attribués à l’autonomisation du marché vis-à-vis de la société et de l’État, ainsi qu’au constat que l’État est devenu, en fait, un instrument du marché, avec comme victimes, les intérêts de la société des citoyens —, nous invite à développer une réflexion qui dépasse les limites du système en place. Autrement dit, de prendre conscience que le système actuel a touché ses limites. Cette réflexion passe nécessairement par une révision de notre arsenal conceptuel, et essentiellement du concept de démocratie.
La relation de la modernité avec la démocratie est tributaire du fait que ce concept est le produit non de son évolution mais de son contact avec la litterature hellénique. Ce contact a été établi au moment où le monde moderne — à commencer par l’Europe occidentale — passait du cosmosystème despotique (ou féodal) au cosmosytème anthropocentrique (des sociétés fondées sur la liberté de la personne).
De l’admiration initiale, on est vite arrivé à conclure que ce système n’était pas applicable dans les sociétés en place. On devrait s’adapter. Cette réflexion a abouti à une distinction entre la démocratie dite «directe» et la démocratie dite «indirecte». Depuis lors et jusqu’à aujourd’hui, le fond de cette distinction, à savoir la relation entre société et système (socio-économique et politique), n’a pas changé. Mais entre temps, on a procedé à l’élaboration de tout un arsenal idéologique qui vise à justifier cette problématique et convaincre que le système politique moderne est non seulement démocratique, mais aussi supérieur à la démocratie «antique».
La modernité conserve l’hypothèse de base qui veut que la démocratie soit le gouvernement du peuple. Mais elle est convaincue que ce principe est sauvé même si le système politique est délégué au représentants. Il suffit que le peuple donne son aval au transfert de la souveraineté politique à l’État. On n’a pas tenu compte en fait que, avec cette décision, on cède à l’État non seulement le principe démocratique mais aussi le principe représentatif.
C’est ainsi que se réalise le principe de la souveraineté étatique. Pour soutenir cette hypothèse, la théorie moderne a developpé toute une argumentation sur la raison d’être de la démocratie, à savoir la liberté. La liberté des modernes (la liberté individuelle), dira-t-on, est supérieure à celle des «anciens» (dite «collective») tenue pour responsable de visées totalitaires. On n’a pas réalisé pourtant que la liberté des anciens n’est pas la liberté collective (ou politique) mais la liberté globale (à la fois la liberté individuelle, sociale et poltique).
Il faut préciser que les «anciens» — à savoir le monde de la cité-État —, n’est pas l’affaire d’un jour. La cité d’Ulysse, d’Antigone, de Solon, de Clisthène, de Périclès, etc. n’est pas la même. Et la liberté — tout autant que les systèmes qui y correspondent — est aussi différente. Celle de la démocratie est donc une liberté globale.
La liberté a un effet cumulatif. L’accès à la liberté sociale voire à la liberté politique n’élimine pas la liberté individuelle. Au contraire, elles élargissent le champ d’action de la liberté individuelle. Je vois mal comment un individu devenu libre au niveau social et politique pourrait se soumettre au statut de serf ou d’esclave de sa propre décision. Cette conclusion de la modernité explique un autre malentendu: elle définit la liberté individuelle comme autonomie; mais la liberté sociale et politique les définit en droit. La différence est fondamentale: le droit n’amène pas à l’autonomie, il délimite l’espace dans lequel jouera la liberté individuelle ou le champ d’action de celui qui détient le système.
Le droit existe là où l’individu est hétéronome et il disparait dès qu’il devient autonome. Le droit de manifester pour une raison sociale ou politique existe car l’individu n’est pas autogouverné! Le droit du travail protègent la liberté individuelle de celui qui est hétéronome pendant huit heures. La démocratie envisage la réalisation des trois libertés à la fois:individuelle, sociale et politique. Il ne s’agit pas ici d’expliquer comment. Il suffit de dire que la démocratie n’adviendra pas parce qu’on le décidera mais au fur et à mesure que le cosmosystème planétaire en réunira les conditions.
Les remarques ci-dessus nous amenent à nous demander quelle est la typologie des systèmes politiques et dans ce cadre, la démocratie en fonction de cette approche: la démocratie ramène tout système à la société des citoyens. La modernité ignore, en fait, la distinction entre propriété des moyens de production et du système de production. Elle ignore aussi la distinction entre système politique et État. La liberté sociale est possible si le citoyen n’est pas dépendant au niveau du travail… Le monde grec offre deux solutions en ce sens: l’une par la dissociation de l’individu du processus de la production; l’autre par la dissociation du système de la proprieté des moyens de production.
On ne supprime pas la proprieté, on attribue le système à ses partenaires (détenteurs de la force du travail, etc). Au niveau politique, la liberté peut se realiser par le détachement du système politique de l’État et de son incarnation par la société des citoyens.
Pour arriver à ce résultat, il faut du moins:
a. la constitution de la société des citoyens en démos (corps institutionel);
b. la concentration entre ses mains de la competence politique “souveraine”.
Il est clair alors que la démocratie est alors distincte de la représentation. La représentation est un système politique différent qui exige la constitution de la société en démos mais qui, au lieu d’assumer la compétence «souveraine», réunit seulement la qualité de mandant. La qualité de mandataire est assumé par les détenteurs de l’État/pouvoir politique.
On arrive donc au constat que le système moderne n’est ni démocratique ni représentatif. La société des citoyens assume un statut «privé», destiné uniquement à légitimer les détenteurs du pouvoir. Elle ne forme pas un démos qui aurait une volonté. La qualité de mandant est assumée par l’État. La société n’a pas non plus le pouvoir de révoquer les hommes politique, la praxis politique n’est pas soumise à la loi. Etc. On peut parler d’un système pré-représentatif.
On se posera la question: pour quelle raison parlons nous de cette question, étant donné que ni la démocratie ni la représentation n’entrent pas dans les projets de société actuellement. Néanmoins, la contestation du système politique moderne est présente à plusieurs points de vue: on parle de déficit de représentation ou de démocratie, on a de plus en plus conscience que l’environnement international échappe aux sociétés, du fait que l’État est soumis au marchés et aux rapports de force. Les inégalités sont l’effet de la rupture de l’équilibre entre le social et le politique, car la rencontre extra-institutionelle (par le moyen de l’idéologie, etc.) de la société des citoyens et des forces politiques n’est plus opérationnelle. Les projets avancés de la dite «société civile» et de la «bonne gouvernance» contribue à faire monter des nouveaux remparts entre le social et le politique. Il reste à constater que les sociétés sont dejà mures d’un point de vue anthropocentrique, et sont désormais davantage capables de distinguer que la politique et l’économie n’ont pas seulement un aspect opératoire (l’efficacité) mais que, jointes à la liberté, elles déterminent aussi le statut de l’individu dans la société. Et celui-ci ne concerne pas seulement la vie privée.
Il est par conséquent nécessaire de revenir à une nouvelle problématique sur les concepts, qui tiendront compte plutôt de la gnoséologie — comme conditions de la connaissance — que des visés idéologiques. Si nous prenons conscience que le système n’est pas tel que l’on le croit, nous pouvons ouvrir le débat sur ce qu’est la représentation ou la démocratie. Il ne s’agit pas d’associer la démocratie à un retour à la Cité grecque mais d’élaborer un nouvel espace communicationel qui lui soit propre, au niveau de la technologie (Internet, etc.), et qui concernerait l’ensemble de la société. Il ne s’agit pas non plus d’établir dès maintenant la représentation ou la démocratie mais d’avancer dans ce sens des mesures qui obligeraient les tenant de l’État à rencontrer la société sans que cette dernière envisage comme seule solution l’explosion.
Intervantions:
Cher monsieur,
C’est un thème qui m’est très cher, la démocratie et la représentativité (sans oublier la “participation”).
Il semble que vous ayez des choses à dire là-dessus qui soient réellement issues de votre réflexion et non la régurgitation, comme font certains, de lectures politiquement correctes, Hannah Arendt ou Jacques Roncière, par exemple.
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